Différences culturelles
Une récente discussion avec des directeurs d’écoles de cirque européennes m’a interrogé sur le sens que chacun peut apporter à des valeurs qui me semblent fondamentales comme l’intégrité, l’honnêteté ou simplement la démocratie.
Je considère personnellement que rien ne doit justifier le renoncement à l’un de ces principes.
L’intégrité ou l’honnêteté sont les garants d’une constance dans les rapports sociaux. Elles apportent la garantie à l’interlocuteur d’une valeur accordée à nos propos et nos actes. Elles représentent pour moi le préalable à toute confiance accordée.
On pourrait également leur accoler le terme de sincérité. Dans la philosophie chinoise, on qualifie ainsi l’adéquation entre les pensées et les actes de la personne. L’étymologie du terme est d’ailleurs intéressante. Elle associe le préfixe sin- qui renvoie à une notion d’unité et crescere (croître). La sincérité serait donc ce qui croît sans mélange, ce qui pousse de façon unitaire. Il y a derrière ce terme une notion clarté et de transparence qui en découle. Ce que l’on voit est bien la réalité. Il n’y a pas besoin de chercher ce que pourrait dissimuler le visible pour en comprendre l’intention.
Le deuxième concept fondamental est celui de la démocratie. Si on revient à son origine grecque, il s’agit de permettre « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». C'est-à-dire d’organiser les modalités de gouvernance et de prise de décision en garantissant d’une part leur transparence et d’autre part la prise en compte de l’intérêt du plus grand nombre. La transparence suppose à la fois une clarté dans les procédures de décision et d’autre part la publicité de celles-ci ainsi que des méthodes employées. L’intérêt du plus grand nombre, quand à lui, ne se limitera pas à la somme d’intérêts particuliers, mais prendra en compte des priorités et des besoins collectifs dont chacun sera bénéficiaire. Cela ne sous entend pas pour autant un idéal collectiviste, mais bien un système privilégiant le dessein collectif au sein duquel s’épanouiront les desseins individuels. De l’agora où chacun avait la possibilité de s’exprimer directement et de participer concrètement aux prises de décision, aux systèmes complexes à représentation directe ou indirecte, les modes de mise en œuvre de ce principe sont nombreux. Ce principe est aujourd’hui universellement reconnu comme un élément essentiel de liberté des individus. Il est d’ailleurs amusant que tous les dictateurs cherchent à en parodier les mécanismes ou à utiliser ses apparences pour justifier leur autoritarisme. Ils finissent néanmoins toujours par en payer le prix à plus ou moins brève échéance. Au bout du compte, j’aime bien l’expression qui dit que c’est le pire système à l’exception de tous les autres.
Ce qui m’a frappé dans le dialogue initial avec mes interlocuteurs canadiens et américains, c’est leur capacité de renoncement aux valeurs devant un principe de réalité où le résultat semble prévaloir sur les moyens employés. Une capacité assez cynique à considérer que la fin justifie les moyens et quelques entorses à la démocratie ou à l’honnêteté pèsent peu devant les bénéfices attendus. Le pragmatisme l’emporte ainsi sur les principes. On pourrait se satisfaire ainsi du résultat, mais le seul fait de l’envisager oblige à un renoncement qui ouvrira nécessairement la porte à d’autres plus importants. Se permettre une entorse aux principes fondamentaux justifie les compromissions ultérieures jusqu’au moment où le piège se refermera.
La crise économique d’aujourd’hui en est l’illustration parfaite. En effet, nous avons depuis vingt ans multiplié les compromissions, justifié les trahisons et les renoncements au nom du gain financier devenu le seul guide des décisions. On a tenté de faire croire aux peuples qu’il n’y avait pas d’autre voie possible que celle qui les menait inexorablement vers la précarité et la pauvreté tout en leur assurant que les beaux jours reviendraient avec la fortune de ceux qui les asservissaient. L’escroquerie était de taille et il est loin d’être certain que la leçon ait été assimilée. Néanmoins, je suis optimiste et compte maintenant sur la démocratie pour rappeler chacun à ses devoirs et au principe d’un gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple.
Je considère au bout du compte, que le renoncement n’est jamais une solution durable, mais que la fidélité à ses principes prévaut toujours. J’ai la faiblesse de croire que la morale finit toujours par triompher.