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Christophe Crampette
Christophe Crampette
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15 septembre 2011

L'infirmière

J’ai revêtu ma blouse, et fait disparaitre un peu de ma personne pour me
fondre dans la fonction. Les grisailles du quotidien et les noirceurs
enfouies s’évaporent dans la blancheur de l’uniforme. La garde peut
commencer.
La garde, garde-chiourme, garde malade, relève de la garde, quel terme
étrange pour marquer les limites de mon travail. Il faut que je garde le
patient, que je le regarde. Il doit garder ma confiance et je dois prendre
garde. Garde à vous, je dois suivre le protocole. En garde, le combat contre
la maladie commence.

J’entends son pas qui approche dans le couloir. Il est ferme et plein d’assurance,
parce qu’il se sent encore plus fort que la maladie. Il chuchote pour ne pas
réveiller les douleurs qui se sont atténuées. Il heurte le sol, accablé d’une
angoisse qui ne peut se dissiper. Il traine pour retarder un peu le
traitement qui l’accablera à nouveau.

Le voilà. Sa silhouette se dessine dans la porte. Il se tient droit, prêt à
affronter la vie et ses aléas. Il lance un bonjour jovial, mais sa voix
tremble. Ses épaules semblent se refermer d’avantage chaque semaine, lourdes
de ce qu’il ne parvient pas à exprimer. Son regard cherche un repère qui le
rassurera. Il attend, transparent, n’osant troubler la quiétude des lieux.

Je souris. Je vais être le réceptacle des douleurs, des angoisses, des
inquiétudes et des doutes. Je vais devoir rassurer, réconforter, apaiser et
tenter de soulager, alors il faut que je fasse bonne figure. Si je laisse
mes propres doutes et incertitudes transpirer, il en recueillera les
effluves. Alors je souris, pour lui offrir un peu d’espoir, pour partager un
instant de gaieté, pour lui signifier qu’il est le bienvenu et que je vais
prendre soin de lui.

Je prends de ses nouvelles. Je lui parle de sa famille, de ses centres d’intérêt.
Je parle du temps qu’il fait pour ne pas parler du temps qu’il reste. J’entrouvre
parfois la blouse pour laisser couler un peu de moi-même. Je ne dois pas
être seulement une machine à administrer des soins, il faut que j’existe
également. Mais je dois me protèger. Il ne faut pas que je m’attache, la
séparation sera encore une fois trop douloureuse.

Le rituel peut commencer. Je l’installe et ouvre le catalogue des gestes à
entreprendre. Questionnaire, pesée, urines, tension, pouls, fréquence
respiratoire… Les signes vitaux sont observés, estimés et considérés. Le
moral est apprécié. Le traitement peut débuter.

Voici venu le temps des maux et des soins. Dans l’île aux traitements, c’est
tous les jours le tourment. Ingurgiter, absorber, ingérer le remède qui
soulagera peut être mais qui assommera surement. Effets secondaires,
accessoires, indésirables mais inévitables, je dois oublier que pour soigner
il faut parfois détruire.

Si la photo est réussie, on continue le traitement, mais souvent le cliché
est voilé, le sujet a tremblé ou le négatif est surexposé. La douleur est
là, mais comment l’accompagner quand chacun a compris où mène le chemin
emprunté. Je suis là, mais je ne parle pas. Je sais que ma présence n’apportera
pas la réponse espérée, alors j’attends que la journée se termine pour ne
plus l’affronter.

La garde se termine. La blouse est tâchée de douleurs. Elle s’est alourdie
des peines et des tourments des patients. Il faut la laver pour qu’elle
oublie, la laisser pour redevenir la maman, l’épouse, l’amie qu’on attend
puis revenir et recommencer. Essayer de gagner une heure, un jour ou un
mois. Participer à la bataille et penser qu’on a pu être utile.

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