Chargée de promouvoir l’enseignement des Arts du cirque et d’en harmoniser la pédagogie la Fédération Française des Arts du Cirque, et ses écoles adhérentes, appréhendent cet Art à travers ses trois dimensions : artistique, éducatif et corporelle. Un triptyque complexe mais qui fait la richesse de cette activité comme l’explique Christophe Crampette, Président de cette Fédération et, également Directeur de l’école de Cirque de Lomme.
Les Arts du Cirque reposent sur un triple enjeu artistique, éducatif et corporel. Ces enjeux sont porteurs de contradiction mais vont rendre l’activité cirque à la fois riche et complexe. Une telle activité peut privilégier l’un ou l’autre de ces aspects mais elle prendra toute sa richesse et sa diversité si elle permet la réalisation simultanée des trois.
Acro-cirque ou circo-sport
Le cirque est une activité physique avec une dimension corporelle importante et des apprentissages moteurs mais n’est pas un sport car il n’est pas codifié et n’obéit pas, dans sa pratique, à des règles permettant une évaluation lors d’une confrontation avec, par exemple, des adversaires. C’est parce qu’il y a absence de codification que la relation à l’artistique est possible. La présence de règles fixant un cadre méthodologique nuirait à la notion de développement de l’imagination, de la créativité et de relation à l’artistique.
C’est important de le souligner parce qu’il y a souvent confusion entre une activité Cirque et une discipline sportive comme « l’acro-sport ». Lorsqu’il y a eu la réforme de l’enseignement de l’EPS au collège, il y a eu classement des disciplines en cinq grandes familles et dans une de ces familles ont été regroupées les disciplines d’expression : danse, cirque… Chaque professeur doit, une fois dans l’année, animer un cycle dans cette famille là. La majorité des professeurs en collège est issue du mouvement sportif, possède une culture du sport, de la compétition et une certaine vision du rapport au corps. Ces professeurs se sont donc trouvés démunis par rapport à cette cinquième famille pour laquelle ils ne savaient pas comment agir et sous quel angle la considérer. Ces professeurs ont trouvé dans le cirque un moyen d’action assez pratique puisqu’il offre un double avantage : il ressemble à des pratiques sportives qu’ils connaissent (rapport à la gym) et, en même temps, il apporte un côté ludique qui plaît aux élèves (jonglerie, pyramides humaines, acrobaties…) et qui permet de concevoir une activité différente. Dans beaucoup de collège, cette cinquième famille est donc initiée par le biais de « l’acro-sport » ou, plutôt, de ce que j’appelle le circo-sport. La pratique de l’activité cirque est réduite à sa simple dimension corporelle et à un apprentissage technique sur lequel on réintroduit une codification et même des éléments d’évaluation quantifiée.
Un Art avant tout
Limiter l’activité cirque à la performance corporelle qu’il induit, c’est dénaturer tous les enjeux que le cirque peut apporter dans les apprentissages. Nous insistons à la Fédération sur le fait que le Cirque est, avant tout, un art et non pas simplement une pratique corporelle. Lorsqu’une école adhère à la Fédération, elle adhère donc à l’objectif majeur de replacer les enjeux artistiques au cœur des apprentissages, sans, toutefois, nier les apprentissages physiques et moteurs. Il y a en effet besoin, à un moment donné, de maîtriser des techniques et de passer par des processus d’apprentissages corporels mais il faut absolument que la dimension du rapport à l’artistique soit première, centrale et présente tout au long des processus d’apprentissages.
Par exemple, dans l’école de cirque de Lomme que je dirige, je demande à mes enseignants que chaque séance comporte un temps consacré à un travail en relation avec l’artistique : cela peut être un travail de recherche, de présentation d’un travail, la rencontre avec un artiste, la présentation de spectacles, la lecture d’un article consacré au cirque… Dans le rapport du Cirque à l’artistique, deux axes principaux sont privilégiés : le développement de l’imagination et la recherche de la créativité. Le cirque permet également d’appréhender le rapport aux œuvres et aux artistes.
Enfin, troisième volet important : l’enjeu éducatif du cirque.
Ce volet vient perturber les schémas habituels et rend la situation très complexe. Le cirque est, fondamentalement, une activité inutile dans le sens où il ne répond à aucun des besoins tels que défini dans la pyramide éponyme. Cette pyramide démarre des besoins existentiels : manger, boire, dormir, se reproduire. Ensuite, vient le besoin de sécurité, puis celui d’entretenir des rapports sociaux, puis le besoin du développement personnel et, enfin, tout en haut de la pyramide, quand on a satisfait à tous les besoins précédents, vient la satisfaction, le plaisir, le dépassement de soi.
Dans l’activité cirque l’individu est placé tout en bas de la pyramide, dans une situation d’insécurité. Il va rencontrer une activité pour laquelle il n’est pas fait a priori. Il n’y a aucun geste du cirque que l’on sache faire naturellement. Il y a obligatoirement apprentissage : marcher sur un fil n’est pas naturel, ne sert à rien, jongler également etc. L’individu est, d’emblée, en situation d’échec : toute personne qui commence à pratiquer le cirque se rend compte qu’elle ne sait pas faire. Il n’y a pas de réussite spontanée. L’individu est donc face à un problème qui n’a de sens que par le défi qu’il se lance lui-même pour le résoudre. Ceci revient à inventer un problème pour le simple désir d’avoir à le résoudre.
C’est donc une activité gratuite qui est, a priori, inutile mais qui va, en fait, par les valeurs qu’elle véhicule, nous permettre de travailler sur des comportements et le développement des personnes. Nous allons développer un goût de l’effort volontaire, travailler sur le dépassement de soi et la socialisation parce que certaines activités amènent à travailler avec d’autres. Par exemple, l’activité portée, c’est porter et être porté. Quand je suis porté, de mon attitude par rapport à l’autre dépend ma sécurité (si je fais mal à mon porteur, il bouge, s’il bouge, je peux tomber…). Ce sera, ensuite à moi de porter et d’assurer la sécurité d’autrui, etc. Cela permet de développer des rapports sociaux intéressants, d’autant que, dans l’acrobatie portée, les individus sont amenés à travailler dans un rapport physique proche. J’ai souvent remarqué que cette activité fonctionnait de façon formidable avec des publics en difficulté : en prison, dans les collèges situés dans des zones de violence… Cette activité va les obliger à travailler ensemble sans qu’ils en aient conscience et sans que cela leur demande un effort de comportement. Cela induit naturellement des modifications de comportement des individus parce qu’ils ont travaillé ensemble et qu’ils sont parvenus à une réussite collective.
L’activité cirque amène également à travailler sur la prise de risque : faire du cirque c’est prendre des risques, c’est prendre conscience, par exemple, que l’on peut tomber. Et ce qui est important ce n’est pas la chute mais de comprendre pourquoi on est tombé et donc de construire des stratégies pour ne plus tomber, pour assurer sa sécurité.
Ces trois dimensions de l’activité cirque et les comportements qu’elles induisent rendent complexe la pratique et l’enseignement de cet Art. En effet, les enseignants prennent très vite conscience de la richesse que peut apporter cette activité cirque et sont très demandeurs de cet aspect comportemental transversal : l’enfant qui fourni un effort peut réinvestir ce goût de l’effort ou ce désir de dépassement de soi-même sur des apprentissages plus cognitifs. Le danger c’est qu’à un moment donné le rapport à l’éducatif prenne trop de place et nuise à l’artistique : une deuxième dérive du cirque possible, après le « tout corporel » est le « tout éducatif ».
A la Fédération et dans nos écoles, nous nous efforçons donc de développer les arts du cirque à travers ses trois dimensions : corporelle, parce que la maîtrise des techniques est fondamentale et qu’elle va permettre l’accès à la création et à l’imagination ; artistique, la démarche artistique étant première dans les apprentissages car sinon elle devient un simple habillage en fin de cycle, une approche esthétique plutôt que créative et l’éducatif qui est transversal aux apprentissages et qui permet des apports comportementaux particuliers et sur lesquels il est important de s’appuyer.
Explications recueillies par Marie-France Rachédi