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Christophe Crampette
Christophe Crampette
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14 août 2009

Le combat cessa faute de combattants

Et le combat cessa faute de combattant.

Le Cid (Corneille)

On parle souvent de combat dans la relation qu’un individu entretient avec son cancer, alors que pour les autres maladies ce terme est très rarement employé.

Dans mon cas, et selon ma propre expérience, il me semble vraiment peu approprié. C’est pourquoi, j’ai trouvé que la phrase que Rodrigue prononçait dans le Cid me semblait particulièrement illustrer mon propos.

Le combat indique généralement un affrontement entre des personnes ou des groupes de personnes, mais dans son sens figuré, il peut également signifier une opposition ou une lutte contre quelque chose.

Dans le cas général d’une atteinte par un carcinome (c’est pour éviter aux superstitieux de frissonner d’effroi chaque fois que je prononce le mot cancer, tabou sociétal de premier ordre), la maladie n’est pas causée directement par l’intervention d’un agent pathogène extérieur. Il ne s’agit ni de microbes, ni de virus ou de quelconque bactérie qui serait venus subrepticement pervertir le bon ordonnancement de notre organisme, mais d’une transformation propre de l’organisme lui-même. Pour des raisons qui nous échappent souvent (si on les connaissait on pourrait envisager des stratégies thérapeutiques mieux adaptées), mais souvent favorisées par des facteurs exogènes (tabac, alcool, pollution…), certaines cellules de notre corps se transforment (elles subissent en général une mutation génétique) et perdent leur spécificité (les cellules sont spécialisées dans certaines taches et en se reproduisant engendrent de nouvelles cellules qui exerceront les mêmes fonctions). Une série d’évènements impliquant diverses mutations génétiques successives provoque cette transformation. Ces cellules perdent toute fonction utilitaire et ne semblent avoir comme unique attribution que leur reproduction. Elles prolifèrent alors sans aucun contrôle et peuvent grossir pour alors former une tumeur.

Le problème est alors que les mécanismes habituels de l’organisme visant à se défendre contre les agressions n’agissent pas. En effet, les cellules cancéreuses étant issues de notre propre organisme, elles ne sont pas détectées comme potentiellement dangereuses pour celui-ci. En effet, notre organisme n’a heureusement pas pour fonction de s’autodétruire. Elles peuvent donc proliférer en toute impunité. Notre corps s’autodétruit et se regarde faire.

C’est très troublant de s’imaginer que ce qui m’affecte est une part incontrôlée de moi-même. C’est pourquoi le mot « combat » me gêne, car je ne lutte pas contre moi-même. Je ne suis pas en guerre contre mon propre corps, ce serait absurde. Je pense qu’il serait plus adéquat de parler du rôle d’accompagnement du malade dans son traitement. Le combat est mené par le médicament, quand il existe, le malade l’accompagne et résiste aux difficultés annexes souvent associées au traitement. Il est d’ailleurs amusant dans ce cas de parler « d’effets secondaires » quand on n’est même pas sur qu’il y a des effets primaires. On devrait même plutôt parler de résistance, car bien souvent ces effets sont dévastateurs pour l’organisme, induisant des conséquences bien plus pénibles sur le moment que la maladie elle-même. On accepte de payer un prix élevé en espérant obtenir quelques bénéfices.

Quand je parle d’un prix élevé, c’est là bien plus qu’une image. Je pense souvent en voyant des personnes fumer que si elles pouvaient prendre ma place quelques heures, elles seraient définitivement sevrées de leur addiction. Quoique, étant non fumeur, je me fourvoie peut-être dans cette analyse un peu simpliste de la psychologie du dépendant tabagique. Certes les vomissements, les douleurs ou les désagréments physiques divers peuvent être aisément partagés et compris par tous, car chacun a à un moment ou un autre de sa vie ressenti un de ces symptômes à l’occasion d’une maladie bénigne, mais la véritable difficulté provient de la transformation physique associée. Perte de poids, changement d’appétit, modification des perceptions sensorielles (goût, odorat…), fatigue, diminution des capacités physique, transformation du corps, difficultés respiratoires sont autant d’évènements qui viennent bouleverser le rapport quotidien à mon enveloppe corporelle. D’un instrument habituellement au service de ma volonté, il devient le centre de toutes mes attentions, l’objet involontaire de mes préoccupations. On ne pense d’habitude pas à son corps car il exécute fidèlement ce qu’on lui demande, il joue son rôle d’exécutant. C’est une machine ultra perfectionnée qui nous permet de nous réaliser. Et là brutalement, le corps devient l’objet. Il monopolise l’attention et conditionne les possibilités d’action à ses capacités de l’instant. On devient autocentré, à l’écoute permanente des signaux qu’il envoie car ils nous signifient sa modification. Je pense que si la situation se stabilisait ainsi, on finirait par s’y habituer et par s’adapter à ses nouvelles capacités, mais en la situation actuelle, il monopolise la totalité de l’attention bouleversant ainsi le rapport à l’intellect. Ce n’est pas un combat, c’est un bouleversement du rapport de l’esprit au corps. La maladie, qu’on sait n’être qu’une part de soi même, devient première, balayant toute autre préoccupation. L’esprit est occupé ou préoccupé plutôt et se trouve moins disponible pour sa fonction réflexive habituelle. Il faut lui faire violence pour tenter de retrouver son équilibre habituel. Ce n’est pas un combat contre la maladie, mais une lutte de l’esprit avec le corps  pour lui permettre de conserver ce qui fait son humanité, c'est-à-dire sa capacité de raisonnement.

Je suis en résistance pour continuer à exister.

Sumo

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Commentaires
S
j ai travaillé avec vous . faites de votre mieux contre cette maladie et luttez contre ces effets secondaires cette maladie est trop injuste. sincérement résister car vous valez la peine d exixter
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Christophe Crampette
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