Etre adulte c’est faire le deuil de ce qu’on n’a pas choisi.
Cette phrase a toujours beaucoup compté dans ma vie. Elle constitue pour moi une maxime, voire un guide qui m’accompagne dans mes décisions. Je l’ai entendu en 1986 ou 1987, lors d’un stage de perfectionnement BAFD. Les organisateurs avaient programmé une conférence sur les problèmes de l’adolescence avec un psychiatre, le Dr Reyns, me semble-t-il. Il nous avait exposé les troubles liés au passage entre l’enfance et l’âge adulte et notamment cette difficulté particulière à devoir assumer ses choix. C’était pour lui un indicateur essentiel de maturité psychologique. Certaines personnes n’en devenaient jamais capables et restaient ainsi de fait plongés dans les incertitudes et les ambiguïtés de l’adolescence.
Être adulte reviendrait donc à faire des choix. Oui, en effet s’il est bien une qualité que chacun reconnaît à l’adulte, c’est la capacité à effectuer des choix lucides et raisonnés. On présuppose qu’il en est ainsi pour lui laisser la liberté d’agir sur sa propre vie. Laisser des doutes sur le sujet nous obligerait à enfermer l’individu dans un cadre protecteur qui l’empêcherait de fait d’exercer sa propre liberté.
Mais effectuer un choix ne suffit pas, encore faut-il être en capacité de l’assumer. Quand deux chemins d’offrent à nous, nous avons la possibilité de choisir l’un ou l’autre en fonction de critères qui nous sont propres. Ne pas effectuer de choix nous conduit à ne plus avancer et quelque part à effectuer un autre choix, certes par défaut, mais néanmoins un choix. Il ne faudrait pas non plus croire que se laisser guider par son instinct ou par un soi-disant hasard est un moyen de ne pas affronter ce dilemme. En effet, de quelque façon qu’on aborde le sujet, il faudra à un moment ou un autre, volontairement s’engager dans une voie et donc choisir.
Le problème le plus épineux vient ensuite. On peut passer son temps à se retourner ou s’arrêter pour se demander si, tout compte fait, il ne valait mieux pas prendre l’autre route et ainsi s’empêcher d’avancer sur la voie choisie. Le fait de ne pas assumer les conséquences de son choix devient ainsi un handicap à une bonne réalisation de celui-ci. Il pourrait même légitimer le regret de ne pas avoir choisi l’autre option. On peut néanmoins penser qu’il en aurait été de même dans l’autre situation.
Certes, parfois, on peut réévaluer la situation et estimer nécessaire de rebrousser chemin pour emprunter l’autre route. En fait, cela nous conduit à un nouveau choix : dois-je continuer ou faut-il que je revienne parce que je me suis trompé. Ce nouveau choix ne remet pas en cause le précédent. Il se juxtapose pour nous permettre de mieux avancer.
Certains continueront leur chemin, mais vivront éternellement dans le regret de ne pas avoir choisi l’autre solution. Ils seront frustrés de ce qu’ils ne pourront pas connaître. En fait, ils auraient souvent aimé explorer un petit bout de chaque route pour ensuite être mieux à même de choisir celle qui leur conviendrait le mieux. Ce serait confortable, mais on imagine aisément que l’exploration se révélerait toujours insuffisante et que dans une telle situation, on ne ferait que déplacer la barrière des regrets.
Alors être adulte, c’est parvenir à choisir et surtout à assumer ce choix et les conséquences qui en découlent. C’est considérer qu’on est maître de sa destinée. C’est admettre que ce qui nous arrive est toujours la conséquence d’une multitude de choix qui nous ont conduits à cet endroit, dans telle situation et à cet instant. Nous sommes ce qui peut nous arriver de mieux et de pire à la fois.
Ce serait trop simple de se réfugier derrière une volonté suprême qui guiderait nos actes et nous conduirait à ne pas assumer nos décisions. C’est presque une forme de lâcheté, car ainsi nous ne serions pas obligés de nous confronter à nous-mêmes et à notre propre responsabilité. La religion nous empêcherait-elleempêcherait-elle de devenir adultes ? Peut-être permet-elle simplement à ceux qui en ont besoin d’assumer ce fardeau trop lourd à porter.