Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Christophe Crampette
Christophe Crampette
Archives
23 octobre 2008

Drame existentiel

Ce texte devrait rapidement se montrer rapidement inutile, futile voire incompréhensible par une bonne moitié de la population qui le lira, mais rappeler à l’autre moitié la profondeur des problèmes existentiels qui l’assaillent quand l’un des actes les plus courants de la vie quotidienne est amené à être effectué hors de son domicile.

Qui en effet ne s’est pas trouvé devant le choix cornélien de l’urinoir placé dans un long alignement qui, si j’ose le dire nous tend les bras pour satisfaire l’irrépressible besoin de soulager sa vessie de quelques décilitres superflus.

Parmi ces réceptacles offerts, lequel choisir ? En général aucune considération d’ordre esthétique ne vient perturber le bel ordonnancement, les objets étant, à l’instar de la magnifique démarche de Duchamp, rigoureusement identiques et alignés selon un ordre et une blancheur qui feraient pâlir d’envie les plus obscurs tâcherons sévissant encore au front national. Parfois quelques souillures malencontreuses peuvent il est vrai nous amener à détourner le chemin de l’objet de notre choix, mais bien souvent ce sont des considérations beaucoup plus profondes qui motivent notre décision.

On passera rapidement sur les quelques distraits et irresponsables, qui inconscients des considérations essentielles de l’existence, se rueront comme mus par une force relevant d’un ordre aléatoire auquel toute leur vie doit être soumise, vers une destination semblant échapper à toute logique voire soumise à la seule loi de la destinée qui conduit inexorablement l’être humain vers un avenir dans lequel il tachera de ne pas trop se faire éclabousser.

L’homme raisonnable, lui accordera une attention particulière au choix de la vespasienne, non pas en vertu d’un bon sens apparent qui pourrait naturellement le conduire vers le premier réceptacle vacant, mais essentiellement à l’issue d’une période de réflexion l’amenant à évaluer les conséquences de son choix initial. S’il était certain d’effectuer ses ablutions seul, le problème essentiel ne se poserait pas mais, dans la plupart des cas, il lui faudra composer avec la présence de congénères déjà installés et surtout anticiper l’entrée de nouveaux prétendants susceptibles de porter atteinte au recueillement et à l’intimité nécessaire à l’exécution d e l’acte.

Qui n’a jamais pissé debout ne peut comprendre l’inconfort d’une installation, qui, inévitablement par souci de gagner une place, aura rogné sur la taille de chacune, obligeant les impétrants en période de forte affluence à effectuer un difficile exercice de compression musculaire et de fermeture des épaules pour ne pas prendre appui sur celles de ses voisins. La conséquence en est inévitablement qu’à force de se concentrer sur cette problématique on en oublie l’essentiel et finisse par maculer d’éclaboussures le pantalon blanc que nous pensions préserver jusqu’au début de la communion de notre nièce Justine.

Seules quelques installations situées dans des contrées helvétiques ou germaniques, apparemment éminemment plus civilisées que la nôtre ont compris l’ampleur du drame qui se joue au quotidien. Elles nous offrent de généreux espaces de liberté ou, chacun, à sa guise peut en toute décontraction se mouvoir et se sustenter sans craindre l’arrivée intempestive d’un importun. Néanmoins, percevant ici un facteur d’aliénation à l’épanouissement de nos sociétés contemporaines, quelques brillants polytechniciens surement assistés d’éminents psychologues ont eu parfois la brillante idée de marquer la séparation du territoire de chacun par une symbolique planchette verticale. L’intention est louable et il faut la saluer. Pourtant, si de prime abord cette solution est rassurante, elle ne vous protègera jamais du regard de la personne, toujours plus grande de vous, qui vous côtoie et qui inévitablement portera à un moment ou un autre son regard comparatif vers vos attributs.

Toute la stratégie consiste donc à choisir l’emplacement qui vous garantira l’impunité la plus longue. On remarque alors plusieurs stratégies. Certains choisiront systématiquement les emplacements extrêmes espérant ainsi mettre le plus de distance possible avec d’autres entrants.  D’autres au contraire se dirigeront vers un emplacement le plus central possible afin de laisser deux possibilités de choix aux suivants.

D’ailleurs, ces stratégies évolueront en fonction des configurations. Dans une installation à trois emplacements, on remarquera que généralement chacun préfèrera se diriger vers une des extrémités. L’emplacement central comme choix prioritaire pourrait d’ailleurs, dans ces circonstances, trahir les tendances obstinément exhibitionnistes du goujat.

Si cinq emplacements se présentent à nous, le choix devient alors plus cornélien. Néanmoins, on remarquera que les places situées aux 1er, 3ème et 5ème rangs laissent toujours deux possibilités d’emplacements libres sans voisinage. L’erreur manifeste serait alors de choisir les emplacements 2 ou 4 qui ne laisseraient qu’une opportunité. Malheureusement, il peut arriver que, malgré la stratégie murement réfléchie que vous aurez mise en œuvre, en choisissant par exemple l’emplacement 5, qui outre l’avantage offert de ne laisser qu’une possibilité de voisinage, offre par son éloignement moins de garanties d’occupation qu’un emplacement plus proche, vous ne voyez surgir un rustre, probablement simple d’esprit, qui s’appropriera sans vergogne le deuxième urinoir. Imaginez la perplexité du troisième candidat devant choisir entre deux voisinages, et qui nécessairement après évaluation de la situation se dirigera, en vertu de la loi de l’emmerdement maximum, vers celui proche de vous. Néanmoins, il arrivera souvent que imprégné d’une éducation  bourgeoise et bienséante, celui-ci  baille négligemment ou fasse mine de préalablement se laver les mains, ce qui en l’occurrence est assez étrange, afin d’attendre la libération d’un emplacement digne de ce nom. Néanmoins, parfois l’urgence de la situation ne nous autorise pas à accomplir cet élémentaire geste de savoir vivre.

D’innombrables variantes de ces situations se présenteront pour des configurations variables : 4 ou 6 emplacements, disposition en angle, postes déjà occupés. De brillants chercheurs effectueraient actuellement des recherches sur le sujet à l’aide de puissants ordinateurs permettant de développer des modèles mathématiques complexes. Nous attendons impatiemment le résultat de leurs travaux.

urinoir

Publicité
Commentaires
J
Merci d'avoir si bien décrit ces instants d'immense détresse, de profond désarroi pendant lesquels, étreints par un doute affreux, nous ne savons choisir alors qu'un choix clair s'impose (fromage ou dessert, à la fraise ou à la framboise, Chirac ou Le Pen ?)... Plus le choix est simple, plus ses enjeux sont désespérément dénués d'importance objective, plus il est difficile à faire. <br /> Cependant je prends la liberté d'attirer ton attention sur le corollaire du drame existentiel, le fruit du mauvais choix stratégique : le "grand moment de solitude". <br /> Les mots me manquent ici pour décrire ce drame absolu, cette abominable confusion qui nous étreint dans ces moments terribles. Que ne serions nous capables de faire pour échapper à ces situations tellement difficiles à assumer ?
Publicité
Christophe Crampette
Derniers commentaires
Publicité